Alors que plusieurs organismes artistiques viennent de déposer les volumineuses demandes de subvention au CALQ et au CAM (Soutien à la mission et pluriannuelle), le ministre Luc Fortin, qui compte à son actif autant d’années d’expérience dans le milieu culturel qu’un bambin en maçonnerie, « rassure » le milieu culturel que des investissements seront à la mesure de la nouvelle politique culturelle qui sera adoptée prochainement.
Quoi de plus rassurant pour les artistes et travailleurs.ses culturel.les que de se faire « rassurer » par un politicien qui n’a probablement jamais vécu la précarité financière, encore moins la précarité « naturelle » de la culture. D’autant plus que ce plan d’action et les investissements qui y sont reliés (et reportés à 2018) viendront appuyer cette nouvelle politique principalement orientée vers le développement outrageusement aveugle et fanatique du numérique! Autrement dit, les arts, qui ne verront pas l’enveloppe de la recherche et de la création augmenter, pourront se doter d’outils technologiques pour rayonner auprès d’un plus grand public.
Manon Gauthier, présidente de la Commission de la culture et des communications au conseil exécutif de Montréal, renchérit en rassurant le milieu montréalais du tournant entrepreneurial et numérique pour la créativité, en spécifiant qu’il faudra faire « un grand travail de « pédagogie » pour faire adopter cette approche[1]». Tout ce qu’a besoin le milieu, quoi!
On nous blase d’arguments principalement économiques face à la culture : « la culture a des répercussions sur l’ensemble de la société », nous dit-on. C’est vrai. Mais voilà qu’au moment où le milieu artistique se mobilise pour demander un maigre investissement de 46 M$ au gouvernement, investissement qui permettrait au CALQ d’ajuster son offre à la demande et au coût de la vie, le gouvernement Couillard annonce d’urgence une aide financière de 300 M$ pour soutenir l’industrie du bois d’œuvre. Une industrie qui, rappelons-le, représente 1,25% du PIB au Canada[2] alors que la culture représentait 3,1% du PIB en 2010[3].
Rappelons-nous aussi que sur les 147 M$ dédiés à l’aménagement du Quartier des spectacles, 37 087 751$ ont servi à l’aménagement de la Place du Quartier des spectacles et de la rue Balmoral, au réaménagement de la rue Jeanne-Mance au nord et au sud de Sainte-Catherine, 26 816 194$ à l’aménagement de la place de l’adresse symphonique et de la Promenade des festivals, 16 587 695$ au réaménagement de la rue Sainte-Catherine et 15 310 545$ à l’aménagement de l’Esplanade Clark[4]. Ceci ne représente que la phase 1 du projet. Les 51 197 815$ restants servaient, encore et pour toujours, à la poursuite des projets d’aménagement du stationnement intérieur de la Place des Arts et autres projets dont je vous épargne les détails.
Intersectorialité alors? Oui, mais si l’on fait crever le noyau, le fruit mourra avec.
En comparaison : 101 244 616$ en subvention étaient octroyés par le CALQ à l’ensemble des disciplines artistiques en 2016, organismes, artistes, associations et revues confondus.
Entrepreneurs, ouvriers, architectes, ingénieurs, cols bleu blanc rouge, commerçants et autres manufacturiers se sont donc graissé la patte sur le dos de la « valorisation des arts et de la culture ».
Alors, permettez-nous de douter lorsqu’on aligne la politique culturelle sur le numérique. Alors que la majorité des artistes ne sont pas formés en programmation, je doute que le nouveau financement investi serve à accroître les conditions de vie des artistes et surtout à la répercussion de la culture québécoise dans le monde. Si les artistes n’ont pas les conditions décentes pour travailler, comment peuvent-ils participer aux projets technocratiques de l’État? Il est encore plus inquiétant que, lorsqu’on visite le site Internet du Ministère de la Culture et des Communications, celui-ci mette en dernier ordre d’importance les acteurs du milieu artistique visés par le renouvellement de la politique culturelle[5].
Pendant ce temps, on apprenait dernièrement par le directeur général du Conseil des arts du Canada Simon Brault que la date limite de dépôt pour les nouveaux projets était repoussée au 20 juin 2017, repoussant par le fait même la réponse aux alentours du mois de septembre. Autrement dit, les artistes avec un nouveau projet ne pourront recevoir de réponse de leur financement de la part du CAC avant septembre prochain, soit 3 mois avant la fin de l’année.
Et pour clore ce chapitre du désespoir, le nouveau budget Leitao prévu pour la culture prévoyait 4 M$ pour aider les journaux à être plus présent sur le web et les différentes plateformes numériques et 20 M$ pour les quatre années suivantes, 5 M$ sur deux ans pour aider l’industrie de la musique à s’adapter à la consommation numérique ainsi que l’augmentation des crédits d’impôt pour la production télévisuelle et cinématographique de 8% à 16%[6].
Aujourd’hui, probablement pour taire les artistes si redoutés par le fleuron politique, on apprenait que les voix de la culture se sont fait entendre suite au rassemblement initié par le MAL (Mouvement pour les arts et les lettres) et le CQT (Conseil Québécois du Théâtre), lundi le 24 avril dernier. Mais encore une fois, on ne fait que mouiller la chandelle qui brûlait à feu vif. Suite aux 46 M$ demandés par le milieu pour atteindre les 135 M$ nécessaires, le gouvernement libéral a adopté une motion ne comportant aucun détail pour l’instant qui vise à attribuer des sommes supplémentaires au CALQ et ce, dès cette année. Connaissant le fin jeu du parti libéral, à l’aube des élections de 2018, gageons que ce « cadeau » électoraliste comportera des conditions qui ne pourront être remplies que si… le gouvernement libéral est élu, encore une fois.
Nous avons l’impression que ce revirement pour le moins « spectaculaire » cache quelque chose d’opportuniste… Cela fait déjà assez longtemps que l’art subit l’austérité générale du portefeuille social, il est plus que temps qu’on donne aux créateurs les ressources nécessaires pour leur permettre de continuer à faire vibrer nos sens!
[1] http://www.ledevoir.com/culture/actualites-culturelles/495074/politique-culturelle-montreal-veut-accroitre-les-retombees-economiques-de-la-culture
[2] http://www.rncan.gc.ca/forets/industrie/apercu/13312
[3] Les dernières statistiques avant que le gouvernement Harper coupe allègrement chez Statistique Canada nous parviennent malheureusement de 2010 : http://www.statcan.gc.ca/pub/13-604-m/2014075/culture-4-fra.htm. Nous imaginons que ce chiffre est resté stable depuis ou, encore a augmenté, le milieu de la culture n’ayant connu peu d’impact de la crise financière de 2008.
[4] http://societeagil.org/documents/file/publications/Rapport%20d’avant-projet%20-%20Quartier%20des%20spectacles-1.pdf
[5] https://www.mcc.gouv.qc.ca/index.php?id=5798
[6] http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1024911/gagnants-et-perdants-en-culture-dans-le-budget-leitao