La Fatigue culturelle est une entreprise de détournement culturel. Son initiative prend racine dans la destitution aveugle du travail des artistes à la Fabrique culturelle, productrice de courtes capsules vidéos qui, dans ses tout débuts, avait soulevé l’ire du milieu des arts visuels puisqu’elle n’offrait aucune redevance pour les œuvres diffusées sur le réseau national[1]. Ce projet élaboré par notre chère télévision provinciale Télé-Québec et dont le nom suggère – consciemment ou inconsciemment – une productivité industrielle de la machine-création révèle de manière fulgurante l’exploitation du travail artistique par le domaine culturel et, à plus grande échelle, par l’État, dans lequel les complaisances les plus rusées viennent s’y reluire.
Or, dans un monde où les travailleuses culturelles et les travailleurs culturels sont mieux rémunérés que les artistes eux-mêmes[2], dans un monde où la visibilité de l’artiste importe plus que la qualité de son œuvre; dans un monde où la rentabilité de la créativité importe plus que le contenu; dans un monde où l’acceptabilité sociale de l’artiste n’a d’égal que le loisir qu’elle ou il est capable de nous procurer, il est plus que temps d’affirmer haut et fort notre Fatigue culturelle.
Il apparait donc tout à fait nécessaire de questionner la structure de cette architecture pyramidale que les artistes sont les premiers à alimenter, du bas de leur échelle, mais dont la matière est systématiquement réorientée en un seuil économique sauvage profitant à la réussite de notre système néolibéral.
Le 21 octobre 2015, il était donc temps pour les artistes de « laver leur linge sale en famille », c’est-à-dire de mettre en question les rouages qui définissent leur champ disciplinaire, mais aussi leur rapport aux autres sphères qui les dominent économiquement.
En tant que principal représentant de la Fatigue culturelle, je me suis installé à la buanderie Royal Plus, tout près du Théâtre aux Écuries, afin d’offrir aux participantes et aux participants de la Journée sans culture de laver leur linge sale, tout en discutant des engagements, des difficultés et des réussites de chacune et de chacun. Parce qu’être artiste c’est assumer chaque jour l’infatigable tâche d’intégrer à la surface du monde les interstices de nos idéations, j’ai voulu leur offrir la chance de les alléger d’une besogne pour le moins ordinaire, mais combien symbolique afin d’intégrer à leur vie un moment, une durée, un instant où, enfin, on pouvait en rire, ensemble.
Ainsi, en tant que fière « non-commanditaire » de la Journée sans culture, la Fatigue culturelle a voulu se joindre à la collectivité artistique afin d’affirmer dans le paradoxe d’un assujettissement économique l’ancrage d’une colère partagée.
[1] L’un des derniers vestiges de cette malencontreuse erreur de la Fabrique culturelle est toujours répertorié sur le site du RAIQ (Regroupement des arts interdisciplinaires du Québec) : http://raiq.ca/fr/node/11497.
[2] Dans une étude datant de 2009, la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) évaluait la rémunération moyenne des travailleurs culturels à 44 000$ par année, alors que celle des artistes s’établissait à 24 400$. C’est, selon la CCMM, l’emploi le moins bien rémunéré du secteur culturel, soit à peine plus que la moitié (55%) du salaire moyen.
Cf. http://www.ccmm.qc.ca/documents/publications/etudes/CCMM_Culture_fr.pdf